

Au deuxième jour de l’Atelier Régional sur la Paix et la Cohésion sociale, animé au Centre Interculturel Oasis de Paix et de Réconciliation, les participants venus du Burundi, du Rwanda et de la RD Congo ont vécu une matinée hors du commun.
Une matinée où l’apprentissage n’a pas pris la forme d’un discours académique… mais celle d’une expérience physique, relationnelle et profondément humaine.
Aux commandes : l’Abbé Émile NDAYIZIGIYE, Secrétaire Exécutif de la CEJP, qui, avec son style calme et pénétrant, a transformé la salle en lieu d’introspection et de révélation collective.
Comme il est de coutume, la journée s’est ouverte par un temps de prière.
Un moment simple, mais essentiel, qui a permis à chacun de se poser, d’entrer dans la journée avec une intention de vérité et de bienveillance.
Puis, sans transition apparente, l’Abbé Émile a proposé un exercice qui semblait anodin… mais qui s’est révélé être un outil pédagogique puissant.
Le principe était simple :
par paires, un membre devenait leader, l’autre suiveur.
Le leader faisait des mouvements : parfois logiques, parfois absurdes.
Le suiveur devait suivre, sans discuter.
Très vite, la salle a été envahie par les rires, les hésitations, les regards perplexes.
Certains suivaient machinalement.
D’autres résistaient intérieurement.
D’autres encore semblaient mal à l’aise, comme si imiter l’autre exigeait de renoncer à un morceau d’eux-mêmes.
Puis, soudain, l’Abbé Émile a annoncé : “Maintenant, on inverse les rôles.”
Et toute la salle a changé d’énergie.
Le suiveur devenait leader.
Le leader devait suivre.
Et là ont émergé des réactions inattendues :
– des sourires de revanche,
– des gestes plus affirmés,
– des surprises,
– des malaises,
– parfois un peu de compétition silencieuse.
L’exercice s’est achevé dans une ambiance électrique, presque cathartique.
Chacun avait ressenti quelque chose : un froissement d’ego, une résistance intime, une forme de liberté ou de frustration.
Fidèle à une pédagogie proche de la maïeutique de Socrate, l’Abbé n’a imposé aucune lecture.
Il a fait naître les réponses à partir des participants eux-mêmes.
Par quelques questions simples, mais redoutables, il a ouvert une brèche :
Pourquoi est-ce difficile d’être suiveur ?
Avons-nous peur de ne pas exister quand nous suivons ?
Peut-on vraiment guider les autres si l’on ne sait pas d’abord se guider soi-même ?
Comment notre histoire personnelle influence-t-elle notre rapport au leadership ?
Et surtout : qu’est-ce que cet exercice dit de nos conflits dans la région des Grands Lacs ?
Ce questionnement a agi comme un révélateur.
Il a mis en lumière ce que chacun apporte — parfois malgré soi — dans les dynamiques collectives :
nos peurs, nos habitudes, nos rapports à l’autorité, notre façon de réagir au changement.
L’Abbé Émile a accompagné la réflexion vers une lecture plus large :
notre région porte des blessures profondes, souvent liées à des formes de leadership toxiques ou à un suivisme imposé.
Dans nos histoires communes :
des leaders ont parfois conduit leurs communautés dans des impasses,
des populations ont parfois suivi par peur, par loyauté, par manque d’alternative,
des jeunes se sont sentis exclus des espaces de décision,
et les mécanismes de domination ont souvent étouffé la créativité et la responsabilité citoyenne.
Cet exercice simple a montré deux vérités essentielles :
On le devient en apprenant à écouter, observer, respecter.
On le devient parfois malgré soi, et il faut du courage pour apprendre à suivre sans se perdre.
Le message de l’Abbé Émile était clair :
pour bâtir la paix, il ne suffit pas de connaître des théories.
Il faut apprendre à se comprendre soi-même, à accueillir l’autre, à accepter l’inversion des rôles, à rester digne dans la posture de suiveur comme dans celle de leader.
C’est dans ces micro-expériences que naît une culture de paix durable.
Cette session — et tout l’atelier — est rendue possible grâce au soutien de nos partenaires engagés :
Agiomondo
Secours Catholique / Caritas France
La Coopération Suisse
Leur appui technique et financier permet de créer ces espaces où les jeunes et les femmes deviennent non seulement des bénéficiaires, mais des protagonistes de transformation sociale.
En réalité, ce matin-là, ce n’était pas un simple “jeu”.
C’était une initiation au regard intérieur, une manière d’enseigner que :
La paix ne se décrète pas.
Elle se pratique, elle se ressent, elle s’apprend.
Elle commence humblement dans la relation à l’autre.
Et parfois, il suffit d’un mouvement, d’un silence et d’une question pour ouvrir le cœur d’une région toute entière.
Commission Épiscopale Justice et Paix
C.E.J.P BURUNDI
Suivez-nous sur: